APPEL À COMMUNICATIONS

Femmes réalisatrices et nouveaux cinémas féministes en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis au XXIe siècle

21-22-23 octobre 2026, Université Toulouse 2 Jean-Jaurès

  

Ce colloque propose d'examiner la manière dont les femmes cinéastes se sont engagées dans le féminisme au sein du paysage culturel en mutation du début du XXIe siècle. Cette période est marquée par l’évolution des discours féministes, dont le mouvement #MeToo constitue un moment clé, ainsi que par la visibilité croissante et la pluralité des formes de féminismes, inscrite dans ce que Sarah Banet-Weiser qualifie d’« économie de la visibilité » (2018, 2). Le scandale Weinstein et les révélations qui ont suivi ont mis en lumière les inégalités systémiques et les violences institutionnalisées qui traversent l'industrie du cinéma, de la télévision et du divertissement soulignant non seulement les abus de pouvoir généralisés, mais aussi la marginalisation des femmes, tant derrière la caméra qu’à l'écran. 

 

Cependant, si cette prise de conscience a engendré une participation accrue des femmes et mis en évidence certains succès retentissants, elle n'a pas permis d’éliminer de manière durable les barrières structurelles qui perpétuent les inégalités et limitent l’accès des femmes aux carrières cinématographiques et télévisuelles.  En adoptant une perspective transnationale et comparative au sein des cinémas étatsunien, britannique et français, nous explorerons comment les femmes cinéastes redéfinissent les formes cinématographiques et les langages audiovisuels, en contribuant à l'évolution des pratiques féministes dans les sphères du cinéma grand public et indépendant et de la télévision, à travers des formes fictionnelles, documentaires et expérimentales. 

 

Les propositions de communication pourront aborder, entre autres, les questions suivantes :

 

Qu'est-ce qui fait qu’un film ou une série est « féministe » aujourd’hui ?

 

Cette question soulève toute une série de problèmes liés aux critères utilisés pour définir le mot « féminisme » en 2025 : Peut-on qualifier un film ou une série télévisée de « féministe », uniquement à travers des critères tels que la représentation et l’étude des personnages féminins, comme le fait le Test de Bechdel, la présence de femmes à des postes clés de l'équipe de tournage ou un engagement militant explicite ? La dimension féministe peut-elle se manifester dans des éléments formels tels que la structure narrative, les choix esthétiques, la cinématographie, ou l’appropriation des genres via des stratégies de « gender bending/genre blending » (Badley, 2016, 127) ? Les cinémas féministes remettent-ils nécessairement en cause les canons dominants comme l’ont postulé nombre de théoriciennes féministes depuis les années 1970 (Rich 1971, Johnston 1973, Mulvey 1975, Doane, Mellencamp et Williams 1984, de Lauretis 1987, hooks 1992) pour subvertir « l'hégémonie de la visualité » (Mirzoeff 2001), ou peuvent-ils proposer des alternatives aux représentations hollywoodiennes sans tomber dans « l'erreur répandue de la subversion » (Harrod et Paszkiewicz, 26), en adoptant plutôt une approche « positive, appropriative et générative » ?

 

Comment les discours féministes se déclinent-ils selon les différents modes de diffusion (télévision, plateformes de streaming, productions à gros budget, cinéma indépendant) et les secteurs (cinéma expérimental, documentaire, animation) ? En quoi la structure épisodique des séries télévisées (Lotz 2006, 73) influence-t-elle leur contenu féministe et en quoi cet impact diffère-t-il de celui des longs métrages ? Quelle est l’évolution du cinéma expérimental sur ces questions, alors même que celui-ci a historiquement marginalisé les femmes (Blaetz 2007, 3) ? Qu'en est-il du documentaire, qui, à l'inverse, a offert plus d'espace à l'innovation et à la présence féminine (French 2021, 10) ?

 

Les relations entre productions audiovisuelles et théories féministes du cinéma pourront également être interrogées dans le sillage des travaux de Radner et Stringer (2011), Maury et Roche (2020), et Charlery et Maury (à paraitre). Aux Etats-Unis, de nombreuses réalisatrices se sont intéressées aux théories féministes du cinéma au cours de leur formation universitaire (Kathryn Bigelow, Julie Dash, Debra Granik, Patty Jenkins, Karyn Kusama, Jennifer Lee, Kasi Lemmons Dee Rees, Kelly Reichardt, Chloe Zhao…) et leurs films reflètent souvent une forme de mise en pratique de la théorie. Est-ce également le cas au Royaume-Uni et à plus forte raison en France, où le monde universitaire s’est longtemps montré frileux vis-à-vis des études féministes, des études de genre et des études queer ? Cette approche permet-elle aux femmes cinéastes de revendiquer leur statut d’auteure ? Si tel est le cas, dans quelle mesure cela les conduit-elles à adopter ou à subvertir les conventions formelles et thématiques issues des traditions narratives dominées par les hommes, comme la Nouvelle Vague française (tels que la réflexivité, l'autobiographie ou les représentations de la création artistique) ?

 

Enfin, ce colloque cherchera à dépasser l’analyse du contenu féministe des œuvres réalisées par des femmes en s’intéressant aux conditions de production, de promotion et de distribution, comme le suggère Patricia White (2015, 13). La réception joue également un rôle important : la manière dont les films sont visionnés, analysés, théorisés, discutés et enseignés dépend du contexte sociopolitique. Comme l'a souligné Janet Staiger (à paraitre), les films et les cinéastes ne sauraient être étiquetés comme « féministes » de manière définitive. En effet, le féminisme n’est pas un mouvement figé, mais évolue au gré des perceptions et des sensibilités des publics. Les propositions pourront ainsi interroger ce qui fait « nouveauté » dans les cinémas féministes d’aujourd’hui.   

 

Comment définir la « nouveauté » dans les cinémas féministes d’aujourd’hui ?

 

Assiste-t-on depuis le début du XXIe siècle à une évolution de la manière dont les femmes réalisent des films et des séries télévisées ? Les mouvements militants récents, notamment ceux réorientant les débats vers la politique de l'intime (Froidevaux-Metterie 2020), marquent-ils une rupture avec les générations précédentes, et ravivent-ils des formes essentialistes de féminisme dans la culture populaire (Banet-Weiser 2018, 139) ? Ce renouveau relance-t-il les débats autour de l'identité, de la solidarité et de la sororité que Florynce Kennedy avait autrefois critiqué comme étant une « mystique » (1970) ? Favorise-t-il de nouvelles alliances féministes qui complexifient davantage ce que l'on entend par « postféminisme » ? Quelle est la place du féminisme constructiviste, du féminisme intersectionnel et du féminisme noir dans ce paysage culturel ? Quel est le rôle du mouvement #MeToo dans cette épistémologie en mutation ? A-t-il marqué une rupture évidente dans la culture cinématographique ? Les femmes cinéastes font-elles revivre d'anciennes formes de féminisme ou cultivent-elles de nouvelles stratégies féministes audiovisuelles hybrides qui cherchent, avec plus ou moins de succès, à « inclure tout le monde » (Charlery et Maury à paraitre) ?

 

L’essor des nouveaux modes de distribution et de diffusion – tels que les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, les formes d’intermédialité, les fandoms et les contenus promotionnels – ont-ils réellement permis d’accroitre la visibilité et les opportunités pour les femmes cinéastes au cours des deux dernières décennies ? Les festivals de cinéma, dédiés ou non aux femmes, offrent-ils des opportunités suffisantes (par exemple, le festival de Cannes a fait des efforts pour donner plus de visibilité aux femmes), ou est-ce dans l’autoproduction et l'auto-distribution, notamment pour les femmes issues de minorités, que se trouvent les véritables enjeux ?

 

Existe-t-il vraiment de « nouveaux cinémas féministes » ?

 

Enfin, ce colloque se penchera sur les obstacles persistants à la réussite des femmes cinéastes, toujours présents aujourd’hui en France, au Royaume Uni et aux Etats-Unis, qui peuvent remettre en question l'existence d'un nouveau cinéma féministe. 

 

En effet, bien que certains succès individuels soient célébrés, la majorité des réalisatrices continuent de rencontrer des barrières structurelles (Paszkiewicz 2018, 257).  Mettre l’accent sur la réussite individuelle des réalisatrices renforce la croyance, symptomatique d'un climat néolibéral et postféministe, que les femmes ont atteint l’égalité, alors que le plafond de verre demeure une triste réalité pour la plupart des réalisatrices. En particulier, le concept de cinéma d'auteur, ancré dans le contexte patriarcal de la France des années 1950, a été critiqué pour ses fondements sexistes (Sellier 2024, 9-10), essentialistes (Mayne 1990, 90) et pour son occultation de la nature collective de la réalisation d’un film (Paszkiewicz, 261 ; Sellier, 11-12 ; White, 32-33). Etant donné ces critiques, peut-il servir l’analyse féministe du cinéma aujourd’hui ? Ou est-il au contraire nécessaire, comme le suggère Sue Thornham, de revendiquer la paternité/maternité d'une œuvre lorsque la « signature » cinématographique d'une femme contribue à remettre en question les normes d'universalité définies par les hommes (2012, 28) ? La paternité/maternité d'une œuvre varie également selon le contexte national. Dans quelle mesure les différentes visions de ce concept en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis influencent-elles la manière dont les femmes réalisent, produisent, distribuent et reçoivent les films ? Dans ce contexte, à quoi renvoie l’expression “cinéma féministe” ? Est-ce qu’il devrait être limité aux productions réalisées par des femmes qui représentent explicitement le féminisme ? On peut en effet se demander si la position adoptée relève véritablement d’un féminisme militant ou bien si le féminisme est simplement devenu une tendance, une mode, un phénomène glamour dans le contexte néolibéral postféministe. À l'inverse, que penser de l'ambivalence, voire de la réticence que certaines cinéastes expriment à être étiquetées comme « féministes » ?

 

Les propositions de communication en français ou en anglais sont à envoyer sous la forme d’un résumé d’environ 300 mots accompagné d’une bio-bibliographie sur le site web de la conférence avant le 1er mars 2026.  

 

url : https://femme2.sciencesconf.org

 

La création d’un compte est nécessaire pour soumettre une proposition.

 

Contact : cristelle.maury@univ-tlse2.fr

 

 

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